Recension de l’ouvrage

Par Mohamed Masmoudi et Denis Talay dans le bulletin de liaison « MATAPLI » publié par la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI).

Pour les plus jeunes, ceux qui n’ont pas eu l’occasion de côtoyer Jean Céa, nous dirions qu’il est l’un des pionniers des mathématiques appliquées. On lui doit notamment le fameux lemme de Céa qui lui a permis de mettre en place les premiers outils d’analyse du calcul par éléments finis. Il a réalisé l’une des premières mises en œuvre de cette méthode sur un ordinateur. Il a également introduit les outils de base de l’optimisation de forme. Son engagement pour l’application des mathématiques l’a conduit à jouer un rôle important dans le développement des mathématiques appliquées au sein de la technopole de Sophia Antipolis. Il a ainsi joué un rôle moteur dans la création de l’école d’ingénieurs ESSI et dans la naissance et la croissance du centre INRIA Sophia Antipolis où il a dirigé une équipe de recherche pendant plusieurs années. De même, il a été une des pierres angulaires de la création du CIMPA.

Jean Céa est à l’origine de ce qui est devenu aujourd’hui le Congrès de la SMAI, dont on fête le 50ème anniversaire. Pour en savoir plus, nous renvoyons à l’article de ce numéro de Matapli « Cinquantenaire des CANUM » par Jean Céa et Jean-François Maître.

Que faut-il faire pour partager sa passion pour les mathématiques avec le plus grand nombre ? Jean Céa donne des conférences aux « Universités pour tous » auprès d’un public très difficile : celui des seniors non mathématiciens. Peu à peu il a ajusté son discours pour mieux faire passer son principal message : les mathématiques sont au cœur des technologies modernes, elles sont fascinantes et beaucoup de résultats importants peuvent être expliqués facilement. Son dernier livre, que nous présentons ici, est issu de cette longue maturation.

Jean Céa a sans doute constaté que l’auditoire est d’autant plus intéressé que l’on touche de près à la réalité quotidienne. La quête de comprendre son environnement est ancrée en chacun d’entre nous. Sur ce plan, le livre annonce la couleur dès le premier chapitre intitulé « Les mathématiques sont partout ». Il se base sur un petit texte anodin décrivant un week-end ordinaire d’un adolescent Laurent. Même derrière la préparation d’un thé chaud il y a des mathématiques. Jean Céa explique pourquoi il y en a aussi dans les ponts, les rues pavées, les skis, les télésièges, les scooters, les voiliers de compétition, les radiographies, et évidemment les objets électroniques et connectés.

L’originalité du livre est de présenter les mathématiques à travers leur impact sur notre vie. C’est pour cette raison que le deuxième chapitre est consacré à Archimède. Au-delà de ses contributions fondamentales qui l’on placé aux abords du calcul infinitésimal, l’engagement d’Archimède pour la cité est remarquable. On découvre que la fameuse poussée, qui porte son nom, a vu le jour en arbitrant un litige. Il fallait déterminer si un bijou métallique était en or. L’engagement d’Archimède pour sa cité prend de nombreuses formes : le levier et son impact sur le génie civil, la vis d’Archimède pour l’irrigation, le miroir ardent pour la défense de sa ville.

Les chapitres suivants abordent les nombreux succès, parfois inattendus des mathématiques, en fournissant au lecteur quelques éléments biographiques sur leurs auteurs, les progrès apportés au sein de la discipline et les conséquences scientifiques, technologiques ou industrielles : l’astronomie (chapitres 6 et 7), la cryptographie (chapitres 8-11, avec une citation grivoise qu’on ne voit pas dans les cours de littérature en lycée), l’informatique et les sciences de l’information (chapitres 12, 16-19), l’imagerie et le traitement du signal (chapitres 22-26). Les autres chapitres (13-15, 20-21) sont consacrés à quelques destins exceptionnels et aux mécanismes de création mathématique.

Jean Céa est un humaniste. À ce titre il est sensible à l’engagement des scientifiques dans la cité. On a déjà évoqué celui d’Archimède. Jean Céa met aussi en exergue celui des femmes mathématiciennes qui, à travers les siècles, se sont battues pour apporter leur contribution malgré le rejet et les préjugés. L’attitude avant-gardiste de l’exceptionnel Carl Frederick Gauss à l’égard de Sophie Germain est soulignée.

Ce livre peut être dégusté, savouré ou dévoré d’une seule traite, tellement il est agréable à lire. Il peut être utilisé par des professionnels pour préparer des conférences grand public…

On peut ainsi puiser dans le livre de nombreux sujets pour des stages de types Math en Jeans ou Hippocampe pour susciter des vocations.

En conclusion, le livre de Jean Céa est un hymne vivant et enthousiaste à l’engagement de chacun, pour sa discipline et la société comme mathématicien-ne ou pour son épanouissement intellectuel comme citoyen-ne désirant comprendre l’actualité des sciences.

Dans de nombreux passages, l’auteur salue les acteurs de l’open-source et c’est pour cette raison que les droits d’auteur, issus de la vente de ce livre, iront à Wikipedia.