MATAPLI n°76 - Mars 2005 REVUE DE PRESSE----------------------------------------------------------------------------------------------------- Notes de lecture
Dans son livre, Jean Céa se raconte. Il écrit et il décrit son environnement, sa famille : ses grands-parents, dont les familles avaient quitté une Andalousie qu'ils aimaient pour espérer mieux vivre, voire faire fortune en Algérie. Il parle de ses parents, Juan et Juana, qui doivent travailler dur pour faire naître et élever quatre enfants. Jean est le troisième de la fratrie. Il évoque avec émotion ses deux sœurs aînées qui n'ont pas pu aller à l'école pour travailler très tôt et très dur. Il parle de la chance qu'il a eue d'aller à l'école maternelle puis à l'école primaire où il a rencontré des instituteurs exceptionnels qui l'ont toujours aidé et compris. Notamment il se rappelle cette institutrice qui ne voulait pas que ses camarades voient ses pieds nus. Il raconte la vie de cette petite maison donnant sur une cour collective à Aïn-Témouchent où les familles partageaient le point d'eau mais aussi la chaleur humaine, la camaraderie née sur les bancs de l'école qui, quelquefois, se traduisait par des bagarres dans la rue et des réconciliations, la fraternité entre ces jeunes gens et ces jeunes filles qui oubliaient, entre eux qu'ils étaient Français, Espagnols, Arabes ou chrétiens, juifs ou musulmans. Il parle aussi de ses dons précoces en mathématiques, mais de ses difficultés en français qui n'était pas sa langue maternelle. Il décrit ses petits boulots qui l'ont amené à travailler chez un plombier, un coiffeur, un vendeur de glaces et un distributeur d'horoscopes ! Plus grand il s'est transformé en professeur donnant des cours particuliers à des enfants de bourgeois de la petite ville qu'il habitait. Il revient à plusieurs reprises sur ce qui probablement a décidé de sa carrière de mathématicien: un second prix de mathématiques au Concours général qui lui a permis de venir à Paris où son prix lui sera remis par « Monsieur le Président de la République, Vincent Auriol ». Il décrit avec un grand respect ce qu'il doit à l' « École de la République », pour lui l'Ecole Normale d'Instituteurs d'Oran. Cette époque est aussi celle de la guerre, la mondiale, et aussi les « événements » de Sétif le 8 mai 1945 qui laissent entrevoir la future guerre d'Algérie. Mais, malgré la dureté de la vie, les « Grandes et les petites catastrophes », il garde de sa jeunesse le souvenir de l'insouciance, du bonheur et de la joie de vivre partagés avec ses camarades, filles et garçons, et aussi les canulars de potaches, les humiliations d'un censeur dont il se vengera gentiment, Il revient sur le souvenir de ses parents: son père mort d'une pneumonie en 1940, mort révoltante qui a fait basculer la vie de la famille ; sur sa mère il écrit: « Quand je repense à ma carrière, je me dis que sans cette mère exceptionnelle, je me serais retrouvé coiffeur ou mécanicien à Aîn‑Témouchent. Il n'y a rien de péjoratif, il n'y a pas de sots métiers, mais sans l'attitude de ma mère, il est clair que je n'aurais jamais connu le bonheur d'accéder à la recherche scientifique. » Il se souvient à plusieurs reprises de la dureté de la vie de sa mère, le travail chez des grands bourgeois locaux, les journées qui commencent et finissent à la nuit ; et puis ce courage pour retourner sur les bancs de l'école apprendre à lire et à écrire en français.
Jean n'oublie pas non plus sa rencontre avec le « Grand Monsieur », Jacques-Louis Lions, dont il a été le premier élève, et qui, comme pour beaucoup d'entre nous, restera un Maître, un ami, un modèle sur tous les plans, qui vont bien au-delà de ce que nous lui devons sur notre formation en mathématiques.
Dans le dernier chapitre de son livre, Jean évoque la chance qu'il a eue de pouvoir préparer le concours d'entrée à Saint Cloud au lycée Chaptal, mais il dit aussi ses souffrances d'avoir quitté un pays de lumière pour la grisaille de Paris ; d'avoir quitté une famille, des amis pour se retrouver seul en bute à des réflexions qu'il n'attendait pas. Il n'a pas accepté d'être traité de « réactionnaire, fils de colons ». Il évoque sa vie à Paris, l'internat, les colles, le travail dans le brouhaha de la « Salle 52 », les sorties qui à l'époque étaient très contrôlées, jeudi et dimanche après-midi. Il faut lire tout le livre, mais je ne résiste pas à citer la fin :
Un trimestre s'écoule à peine que ma vie allait se figer encore plus. Le secrétaire général du lycée Chaptal en personne est venu me voir à la fin d'un cours. C'est un personnage haut en couleurs, très humain, apprécié par les élèves, il essaie de me dire quelque chose, il balbutie, il est clair qu'il ne sait pas comment me le dire et finalement, j'entends une phrase déchirante, une phrase assassine : « Mon petit, tu dois retourner en Algérie, ta mère vient de mourir! ».
Comme un automate, j'ai pris le chemin du retour, je suis arrivé à temps pour voir ma mère sur son lit de mort, pâle, blanche, sans vie. Je me suis effondré auprès d'elle. Un vide géant s'ouvrait devant moi, une partie de moi-même s'en allait. Celle qui me communiquait mon énergie, ma confiance et mon courage n'était plus là. Comment pourrais-je vivre maintenant ?
Et cette mort était si inattendue ! Ma famille consciente de mes difficultés, seul à Paris, avec comme seul horizon le travail, ne voulait pas me tenir au courant de la maladie de ma mère pour ne pas me perturber davantage. La nouvelle de sa mort me fut assénée d'un seul coup. J'ai refusé cette mort. Je l'ai fait tant et si bien que pendant de nombreuses années, j'ai eu l'impression que ma mère n'était pas loin de moi, que je pouvais me confier à elle, lui raconter mes joies et mes peines. Elle sera là, cachée dans l'ombre, toute proche. Mais malheureusement pas assez proche pour que je puisse la choyer, la cajoler, lui préparer une vieillesse heureuse.
Je n'avais pas encore vingt ans, ma mère est morte le 15 janvier 1952. Elle est morte Juana !
Brave Jean, ceux qui ne te connaissent que par ton nom figurant dans les bibliographies de leurs articles ou sur la couverture de tes livres de mathématiques, te remercieront de t'être confié dans ces pages d'une grande humanité, pages écrites par un « Grand Bonhomme ».
Par G. TRONEL
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Nice Matin
Vendredi 25 Mars 2005
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L'algérianiste
Qu'il est long le chemin de la France.
À chacun son Algérie.
Jean Céa
Editions du Losange, 202 pages, 16 euros
Jean Céa connaît bien ce pays témouchentois où une importante colonie espagnole fuyant la famine avait pensé trouver une terre promise. Elle ne le fut pas pour nombre d'entre eux. Ces exilés, venus nombreux en Oranie de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, et devenus Français, donnèrent leur vie pour la France lors de la Première Guerre mondiale, laissant dans un complet dénuement des familles tout juste installées en Algérie et parlant à peine le français.
Descendant de ces émigrés, l'auteur fut cet enfant pauvre d'Aïn-Témouchent qui fit son long chemin vers la France où il effectuera de brillantes études couronnées par l'agrégation et le doctorat.
Jean Céa, dans ce qu'il nomme « l'Algérie de chacun », témoigne des difficiles rapports humains dans la société inégalitaire de son enfance avec sa mosaïque interethnique, religieuse, sociale.
Mais il aime à rappeler - comme le fit Camus - que le plus pauvre garde toujours un souvenir sacré de ceux qui l'ont aidé et aimé.
L'algérianiste
BP 213
11102 Narbonne Cédex